Bonjour Justine, merci de répondre à cette interview en marge de la prévente de ton roman “Un pétale par sourire”.
Pour les gens qui ne te connaissent pas encore, je te propose de dresser un portrait très rapidement.
Derrière la plume qu’on va présenter aujourd’hui, il y a une aide à domicile terrifortaine, à l’âme créative, qui se définit comme une “artiste randopuzzlelière”.
Mais tout ceci n’est qu’une partie de toi et à travers “Un pétale par sourire“, on devine qu’il y a encore plus à découvrir de toi, est-ce que tu veux dire un mot sur les fragments de toi, du passé ou du présent, qui ont contribué à ce roman ?
Un pétale par sourire est un roman directement inspiré de mon vécu, même si j’ai modifié beaucoup d’éléments pour éviter d’être poursuivie pour diffamation, notamment les noms des personnages, les lieux, la composition familiale…
Déjà, l’emprise de Christophe sur la famille et son acharnement sur Héloïse en tant que personnalité narcissique, c’est quelque chose que j’ai vécu de mes sept à mes dix-neuf ans. La période de chômage, la précarité, je les ai vécues plus tard. La dépression, eh bien là, c’est plus compliqué de répondre : elle est là depuis longtemps, mais par vagues. Il y a aussi la neuroatypie de manière générale qui est abordée, même si c’est cette dernière version de ce roman qui le montre davantage. Enfin, le fait de s’occuper d’un parent en tant qu’aidant, ce n’est pas si facile.
Je me suis dit qu’il serait bien d’assembler ces événements pour dénoncer le tabou qu’il y a autour. Leur point commun est que la victime se retrouve souvent affligée de reproches, de conseils non sollicités. Elle est jugée alors que personne ne connaît l’entièreté de sa situation.
Parlons donc de ce roman. La version proposée à la prévente est une réédition.
La première édition était éditée par une maison d’édition qui a connu le triste sort trop commun des ME ces dernières années, avec une fermeture définitive et tu as décidé de reprendre ce roman pour le proposer à nouveau.
Est-ce que tu peux nous dire quelques mots sur ce qui t’a poussée à le réécrire et sur l’évolution qu’il y a entre les deux versions ?
Au début, je voulais juste le ranger dans un tiroir. Pour moi, il avait vécu sa vie, même si j’avais déjà l’envie de modifier certaines choses que les lecteurices avaient relevées, notamment les incohérences sur le Japon, les yokaïs…
Il faut le dire, pas mal de gens m’ont poussée à reprendre ce roman, notamment toi [ndrl: Julie -Animithra- Ferrier a réalisé l’interview]. Alors je l’ai ressorti des tiroirs un an plus tard, à la fin de l’été 2023, et il a subi une bonne réécriture. J’ai approfondi le côté fantastique, l’immersion dans les légendes – autant franc-comtoises que japonaises –, mais également le côté psychologique. Le·a lecteurice a accès aux pensées d’Héloïse et d’Izokiyo, ce qui n’était pas le cas avant ! J’ai également approfondi le côté santé mentale, notamment en assument complètement la neuroatypie d’Héloïse. Il y a d’autres choses qui ont été revues, mais je ne vais pas tout révéler…
Sinon, j’ai fait appel à des Sensivity Readers pour corriger les incohérences et choses fausses que j’ai pu écrire sur le Japon, ses légendes, ou même sur un certain passage avec le grand-père paternel d’Héloïse, Bernard…
“Un pétale par sourire” est un livre au récit contemporain, qui aborde des thématiques très noires du quotidien, comme la dépression, la manipulation, le sexisme et les violences domestiques, avec une histoire de cœur sur fond fantastique qui vient donner une touche de couleur et éclairer ce tableau dur au premier abord.
Ta plume a tendance à peindre des personnages et des ambiances, une technique que tu maîtrises extrêmement bien comme tu l’as démontré avec “Evana“, édité chez Le Labyrinthe de Théia (allez sur le site de la ME pour acheter ce livre, pourquoi pas en pack avec le CD des musiques composées pour l’accompagner).
J’ai deux questions au sujet de tes romans :
1/ comment tu vis, dans un monde d’empressement et de surconsommation, de publier des écrits contemplatifs qui nécessitent de prendre un temps de réflexion pour vraiment en tirer le meilleur ?
Il y a quelques années en arrière, j’étais découragée par certains retours, où il m’était reproché le fait d’avoir une plume trop compliquée, hermétique, pas assez d’action… Ce sont des choses que je pensais être des défauts, que j’ai cherché à gommer, jusqu’à ce que plusieurs personnes, dont des bêta-lecteurices, des directrices éditoriales et des correctrices, me demandent de cesser de mutiler ma plume et de la laisser s’épanouir.
Quant au fait que j’écrive du contemplatif, je n’en ai eu pleinement conscience que récemment, car je qualifiais juste ma plume de lyrique et poétique. Je n’avais pas tout à fait cerné le fait que le mouvement littéraire du romantisme, dont le contemplatif fait partie, imprègne autant ma plume. Pour le côté surréaliste, qui n’apparaît qu’à certaines occasions, je le savais en revanche.
Maintenant, si je devais recevoir certains retours où les personnes ne sont pas familières avec le contemplatif, je ne m’en formaliserais plus autant. J’ai compris que chercher à changer cet aspect, cela reviendrait à changer toute mon identité d’artiste… et ce n’est pas possible.
2/ tes deux livres adressent la question de l’émancipation de la femme, avec des angles de développement très différents et une racine commune : l’emprise d’autrui.
Est-ce que c’est une thématique qui te tient tout particulièrement à cœur, est-ce que c’est parce que tu estimes cela nécessaire dans la société actuelle, ou est-ce que c’était un besoin ou une impulsion pour ces romans (puisqu’on ne retrouve pas cette thématique dans deux de tes nouvelles : “Les Eaux du Temps” et “Le papillon de vers”) qu’on ne reverra plus autant dans tes prochains récits ?
C’est une thématique qui me tient à cœur et que l’on retrouve aussi dans Evana, en effet, même si c’est différent par rapport à Un pétale par sourire. Certes, on ne retrouve pas cette thématique dans Le papillon de vers ni dans Les Eaux du Temps, mais je peux te citer d’autres romans où on la retrouve pas mal ancrée, d’une façon ou d’une autre : Le Joueur de cristal (l’emprise familiale avec un père maltraitant), Spiritès (je ne sais pas encore de quelle façon la thématique de l’emprise ressortira, en revanche…), La Mouverêve (à travers le personnage d’Erloh, qui est un antagoniste très complexe que l’on peut qualifier de chaotique neutre).
Je trouve nécessaire que l’on parle plus de ces situations, qui passent inaperçues. Combien de personnes, de familles entières ont été brisées sous l’action d’un·e manipulateurice ?
Après, oui, c’était un besoin d’écrire sur ces sujets, mais cela revient de manière récurrente, même si pour le coup, on ne les retrouve pas dans les deux nouvelles précitées.
Est-ce que tu aurais un message, en une phrase, pour Héloïse et toutes les personnes qui s’identifieraient à elle ?
N’abandonne pas même si les ténèbres réussissent à encercler ta flamme, car tu es bien plus forte que tu ne le croies.
Concours total de circonstances, ton roman est disponible à la prévente alors que la communauté littéraire vient de s’écharper sur le rôle des SR et qu’une influenceuse, qui a une communauté plutôt jeune, normalise les VSSC et verse dans le victim blaming.
Qu’est-ce que ça t’inspire ?
Beaucoup de choses.
TW sujets sensibles touchant à la dark romance, au racisme, etc.
Déjà, pour commencer, je rappelle que tout écrit est politique, peu importe de quelle façon nous nous y prenons, et je dis cela en étant moi-même une personne saoulée par la politique de maintenant, dans le sens où je suis très en colère face à ce qu’il se passe. Il faut le dire, nous sommes gouverné·e·s par des personnes privilégiées qui n’en ont absolument rien à faire des personnes précaires, la plupart du temps concernant des minorités : personnes racisées, handicapées, queer, etc.
Après avoir bu une nouvelle gorgée de café, je voudrais ensuite parler du fait que « blabla, c’est de la censure, de la cancel culture » : pour moi, normaliser des comportements toxiques, le victim blaming, faire limite l’apologie de certains sujets, ce n’est pas possible. Oui, on peut écrire ce que l’on veut en soit, mais ce que je ne veux pas, c’est que ce soit vendu pour autre chose que ce que c’est.
Exemple avec la Dark Romance : combien de thèmes sont qualifiés de « spicy », « torrides », alors qu’on parle de VSSC, de tortures ? Je ne dis pas qu’il ne faut pas écrire dessus, même si ce n’est pas forcément pour dénoncer, mais en faire l’apologie, le catégoriser pour ce qu’il n’est pas, c’est non pour moi. Parce qu’encore une fois, les victimes sont silenciées, humiliées, et il serait grand temps d’arrêter de normaliser l’insoutenable.
C’est pareil pour le racisme, même si je préfère laisser la parole aux personnes concernées, qui n’ont de cesse d’expliquer à quel point la manière dont certaines histoires, personnages, sont écrits, relèvent de biais racistes, voire de pensées dangereuses qui n’ont rien de subversif (exemple de la théorie du Grand Remplacement).
Revenons à la question de l’émancipation : tu écris des personnages qui évoluent au contact des autres et qui apprennent à accepter qui iels sont et à se défaire du regard des autres.
Pourtant (spoiler alert), c’est un chemin sur lequel tu te trouves encore (lâche ce martinet, on te voit) : est-ce que ces personnages sont aussi un message pour toi-même ? une projection d’un espoir ? une attente personnelle ?
Hmmm… Oui, on peut voir les choses ainsi. Il y a aussi l’espoir de pouvoir avancer et me sortir de ce schéma de pensée. Il y a des personnes qui ont le don de balayer d’un revers de main tout ce que l’on a pu accomplir pour faire fi du regard des autres, et c’est vrai que je n’ai pas encore toutes les clés pour ne plus être affectée par ces personnes-là en particulier.
Un pétale par sourire, c’est une sortie le 7 mai, journée de la santé mentale des enfants et des jeunes et ça n’est pas par hasard, puisque la question de la santé mentale et sa perception / son appréhension par l’entourage de la personne concernée sont présentes dans le livre.
Cette représentation te tenait particulièrement à cœur ?
Oui, c’est l’un des fils rouges de ce roman. J’ai trop souffert de mon côté que l’on me silencie, que ce soit face à l’emprise que j’ai pu subir de la part de personnes manipulatrices – non, il n’y en a pas eu qu’une seule dans ma vie –, face au chômage, la dépression… Si j’ai pu discuter avec certaines personnes de mon entourage par après, qui ont compris les conséquences et les problématiques derrière, ce n’est pas le cas de tout le monde. Et il faut le dire, il y a encore beaucoup trop de personnes qui se permettent d’être validistes et de dire que tout n’est qu’une question de volonté, qu’il faut « se sortir les doigts du cul » et « cesser de s’apitoyer sur son sort ».
Pour finir : si ton roman devait être une promesse, laquelle ce serait ?
Même si je ne suis pas une autrice « célèbre », j’espère malgré tout que ce roman sera une réponse, un réconfort pour les personnes qui sont isolées et connaissent ce genre de situation, voire une clé pour affronter la bêtise humaine.
Merci pour cette interview !
Pour les personnes qui veulent découvrir “Un pétale par sourire“, les préventes (avec des bonus exclusifs disponibles uniquement jusqu’au 24 avril 2024) sont ouvertes ici : https://soleditions.fr/produit/un-petale-par-sourire/