Cher·e·s lecteurices, il faut qu’on parle ! Et il faut qu’on parle du concept d’âge conseillé et de trigger warnings (« avertissements de contenu » en français) que nous utilisons dans notre boutique car nous avons récemment reçu un avis qui a laissé l’équipe… perplexe.
Comme vous le savez, notre équipe est très engagée en matière de protection des lecteurices et de limitation du risque d’exposition à des œuvres pouvant heurter leur sensibilité.
À ce titre, nous mettons un point d’honneur à indiquer un âge conseillé de lecture et/ou des trigger warnings pour que les achats se fassent en toute conscience.
Et nous ne pensions pas recevoir un jour un avis pour le moins… déconcertant…
« J’ai failli acheter le livre, mais j’ai vu qu’il était interdit au moins de 18 ans, donc j’ai estimé que c’était du porno. Il ne faut pas indiquer ça, si j’avais su qu’il n’y avait pas de porno, j’aurais acheté le livre plus tôt. »
Cet avis nous est parvenu concernant le livre de Justine C.M. intitulé « Un Pétale Par Sourire« .
Et il est d’autant plus étonnant qu’il suggère que nous mettons seulement une pastille 18+ sur la couverture et pas l’explicite mention suivante :
« Déconseillé avant 18 ans pour ses TW (non exhaustifs, voir description longue) : VSS, manipulation«
Comme vous le voyez, il existe un fossé entre ce que nous indiquons et ce qui a été interprété.
D’abord le livre n’est pas « interdit » au moins de 18 ans, seulement déconseillé.
Ensuite… on explicite le motif qui n’a absolument rien à voir avec de la pornographie (d’autant que pour ça, nous avons une collection dédiée et qui nécessitera d’avoir sa majorité pour pouvoir la consulter).
Donc, nous nous sommes dit qu’il fallait qu’on vous explique pourquoi et comment on décide de conseiller un âge de lecture et d’indiquer nos TW.
Une recommandation proche du système PEGI
Quand on a parlé de l’association « déconseillé avant 18 ans » et de la pornographie, on a beaucoup entendu le même discours, qui a d’ailleurs aussi circulé sur Threads : « c’est comme ça, c’est le système PEGI, mais pour le ciné et la littérature » et euh… non.
Pour sûr non, parce que justement, notre recommandation est proche du système PEGI et visiblement, il faut qu’on refasse un point sur le sujet.
Tout public / PEGI 3 :
Avec cette classification, le contenu est considéré comme adapté à toutes les classes d’âge. Il ne doit pas comporter d’éléments, notamment d’images, susceptibles d’effrayer ou de faire peur à de jeunes enfants. Les formes de violence très modérées dans un contexte comique ou enfantin sont acceptables. Il ne doit proposer aucun langage grossier.
Jeunesse / PEGI 7 :
Les contenus présentant des scènes ou autres éléments potentiellement effrayants se retrouvent dans cette classe. Avec une classification PEGI 7 des scènes de violence très modérées (une violence implicite, non détaillée ou non réaliste) peuvent être autorisées.
Cette classification est la raison pour laquelle certains dessins animés (comme des classiques de Disney) même proposés en livres illustrés sont conseillés à partir de 7 ans seulement.
Ado / PEGI 12 :
Des contenus décrivant de la violence sous une forme plus graphique par rapport à des personnages imaginaires et/ou une violence non graphique envers des personnages à figure humaine entrent dans cette classe d’âge. Des insinuations à caractère sexuel ou des postures de type sexuelles peuvent être présentes, mais dans cette catégorie les grossièretés doivent rester légères.
Cette classification est utilisée À TORT pour les contenus Young Adult dans certaines librairies (on rappelle que « jeune adulte » = « a récemment atteint la majorité »).
Public averti / PEGI 16 :
Cette classification s’applique lorsque la représentation de la violence (ou d’un contact sexuel) atteint un niveau semblable à celui que l’on retrouverait dans la réalité. Les contenus classés dans la catégorie 16 peuvent contenir un langage grossier plus extrême, ainsi qu’une consommation de tabac, d’alcool ou de drogues.
Young Adult / Déconseillé au moins de 18 ans / PEGI 18 :
La classification destinée aux (jeunes) adultes s’applique lorsque le degré de violence atteint un niveau où il rejoint une représentation de violence crue, de meurtre apparemment sans motivation ou de violence contre des personnages sans défense. La glorification des drogues illégales et les contacts sexuels explicites entrent également dans cette tranche d’âge.
IL N’Y A JAMAIS EU DE MENTION DE PORNOGRAPHIE CHEZ PEGI
Et nos classifications se font sur ces critères parce qu’ils permettent aux parents d’acheter des livres pour leurs enfants en toute connaissance de cause.
Mais alors pourquoi on ajoute des trigger warnings ?
Les trigger warnings : parce que même une œuvre tout public peut heurter votre sensibilité
Nous entendons souvent qu’à partir du moment où on indique un âge conseillé, ce n’est pas la peine de mettre les trigger warnings.
Dans les faits, c’est plutôt l’inverse.
Je (Julie, président·e de Sociolution) prends mon exemple personnel. Imaginez que nous éditions un jour un livre tout public qui aurait pour personnage principal un enfant placé.
A priori, il n’y a aucune raison de restreindre l’âge d’accès à ce livre sur ce seul critère.
Dans les faits, je vis, comme beaucoup d’adelphes, avec un syndrome post traumatique, en partie à cause de mon enfance sous la coupe de l’ASE.
Faire figurer « trigger warning : institutionnalisation / aide sociale à l’enfance » c’est une façon pour mon entourage de savoir qu’il faudrait peut être en discuter avec moi avant de m’offrir ce livre.
Parce que les trigger warnings sont là pour nous avertir de ce qui peut nous heurter, mais aussi et surtout de ce qui pourrait heurter le public pour lequel vous faites l’achat qui n’est pas forcément vous et, en l’occurrence, est souvent vos enfants.
Ok mais Un Pétale Par Sourire mérite-t-il cette classification ?
C’est vrai qu’à vous parler d’une romance fantastique, un « conte de fées moderne », vous trouvez peut-être que c’est trop « pipou » pour être classé 18+.
C’est exactement pour cela que nous avertissons et que nous indiquons que c’est pour les trigger warnings listés (et la liste dans la description longue du produit est très explicite à ce sujet).
Si on s’en tient aux critères de PEGI, on parle de violence crue, sauf qu’elle n’est pas nécessairement physique.
Et ce sont des indicateurs.
Aux personnes qui nous ont dit « bah nous, on trouve que notre enfant peut déjà le lire en fait » : parfait, cela veut dire que vous avez considéré l’avertissement, lu la liste des trigger warnings et que vous savez votre enfant suffisamment alerte pour que sa lecture se fasse dans les bonnes conditions et que vous vous tenez à sa disposition pour discuter de quelque chose qui pourrait læ choquer : votre job et le nôtre sont faits.
À la personne qui nous a dit « bah j’ai pensé à de la pornographie donc j’ai pas acheté, faut pas marquer ça » : vous êtes l’une des raisons pour lesquelles on continuera de mettre nos avertissements; nous avons précisé sur la même ligne l’âge recommandé et le motif. Si vous n’avez pas pu lire au-delà du début de la phrase, vous ne devriez pas faire un tel achat pour une personne mineure, puisque vous n’auriez pas pris le temps de lire les raisons de cette classification et auriez pu heurter la sensibilité d’une enfant par… flemme ?
Un lectorat plus restreint, mais plus safe, voilà notre credo
On nous a demandé si nous changerions notre fusil d’épaule et la réponse est non.
Justine C.M., comme moi-même, avons publié sur ce que les gens appellent à tort « dark romance », nous nous sommes aussi exprimé·e·s sur les dangers de la recommandation de certaines œuvres à certains publics.
Personnellement, je serais même pour faire une distinction entre les « jeunes adultes » et les « adultes » (25+) concernant certains contenus, notamment la daube que constitue la fake dark romance qui romantise les VSSC (je rappelle que certains de ces livres contreviennent à la loi).
Dans tous les cas, nous avons bien conscience qu’il y aura des gens pour ne pas acheter nos livres uniquement parce qu’ils ont des trigger warnings, ce « truc de wokes » ou parce qu’on recommande un âge et que ces personnes n’iront pas lire les quelques mots supplémentaires qui leur permettent de savoir pourquoi.
Mais si perdre ce lectorat potentiel (qui trouverait probablement certains des ouvrages édités ici aussi « wokes » que nous) nous permet de mieux protéger le public qui compte vraiment nous lire, c’est un sacrifice que nous ferons sans sourciller.
Si les gens veulent consommer sans contrainte (et encore, quelle contrainte qu’une recommandation !), il y a toutes les maisons d’édition traditionnelles, y compris celle qui semble s’être spécialisée dans la publication des escrocs et des pédocriminels refusés dans tous les autres pays parce que… la loi, ce truc un peu chiant qu’on doit observer (sarcasme).
Chez SolÉditions, nous avons à cœur de ne pas restreindre la liste des genres que nous éditons, là où des ME rejettent encore les romances, la « chick-lit », etc.
Nous avons à cœur d’étudier des manuscrits parfois rejetés ailleurs parce que l’histoire heurte la sensibilité bigoterie de certains comités de lecture.
Et nous avons à cœur de nous assurer de ne pas contribuer à un système qui se fiche d’affecter le lectorat sous couvert de « c’est de la fiction, ça va » alors qu’on ne dit pas ça du cinéma et qu’on diabolise les jeux vidéos.
Et nous espérons que notre public grandira parce que nous croyons fermement au fait que nos valeurs sont encore celles de nombreuses personnes, en particulier parmi celles qui luttent pour que l’accès aux livres ne souffre plus de l’élitisme crasse qui l’affecte depuis des siècles.
Et promis, si vous avez offert un livre déconseillé aux moins de 18 ans à votre enfant parce que vous saviez qu’iel pouvait le lire sans souffrir des contenus pour lesquels nous avions placé une alerte, on ne vous mordra pas; informer n’est pas menacer, c’est seulement nous assurer que vous passerez un bon moment.
Et nous espérons vous faire vibrer avec nos nouveaux titres de cette année. Bonnes lectures et prenez soin de vous !